Depuis ma petite enfance, j’avais observé qu’à l’intérieur de moi « vivait » un monde. J’avais attribué à ces différentes « voix », « personnages », « monstres », des noms, et quelquefois je m’identifiais et jouais leurs humeurs, leurs caractéristiques, leurs attributs. Je savais – alors que je ne le savais pas – que toutes ces présences n’étaient pas « moi » (je me demandais bien, aussi, qui était ce « moi » dont les autres parlaient !). Décidément la vie allait être passionnante, sur cette Terre, devais-je me dire, et surprenante !

En classe de terminale, en philosophie, il y eut ce jour où l’enseignement distinguait la Culture de la Nature. Ce jour-là je crois que j’ai été blessé. La conscience ? Quelque chose en moi s’est crispé. Je ne savais pas ce que c’était. Je crois que c’est au niveau des tripes, ou bien du coeur, ou bien même des deux endroits à la fois, et assurément dans ma tête. Immédiatement je me souviens avoir tracé une ligne sur l’écran du mental pour catégoriser et définir ce qui était de l’ordre de la nature et ce qui était de l’ordre de la culture. Seulement cette ligne ne tenait pas, elle flageolait, s’effaçait même, se tordait, se pointillait ; quelque chose en moi n’acceptait pas cette ligne, pourtant j’étais un élève et je me conformais à penser la séparation. Je posais alors que la Culture était de l’ordre humain tandis que la Nature était de l’ordre naturel, du sauvage libre. Malgré tout, il s’avéra que ma vie fut une danse sur cette élaboration mentale, sur cette frontière artificielle et qu’avec le théâtre j’ai souhaité m’affranchir de cette limite.

L’anthropologie m’a toujours fasciné. Rien que le mot lui même : cinq syllabes, ce n’est pas rien tout de même ! L’étude du phénomène humain sur la planète pouvait bien se targuer d’un aussi long mot. C’est ainsi que simplement guidé par ma curiosité, bien plus tard, je m’intéressais aux symboles et à l’anthropologie de l’imaginaire : Gaston Bachelard, Gilbert Durand, Charles Stépanoff, Cynthia Fleury et ces notions d’imagination/imaginaire/imaginal qu’en tant que comédien j’expérimentais tel un cobaye-alambic de soi-même ! Il y eut aussi la découverte de l’anthropologie théâtrale par Eugenio Barba via Thomas Richards et Jerzi Grotowski.

Quand je me suis retrouvé dans des situations difficiles – plus qu’inconfortables – j’étudiais mes réactions (tel un apprenti-Montaigne) songeant à nourrir ma mémoire afin d’alimenter mon métier d’acteur et d’enseignant théâtre. J’avais conféré au mot « anthropologie » le pouvoir d’un « abracadabra » : une clé ouvrant de très nombreuses portes… 

Michaël Therrat – 31 mars 2022

Merci à Laëtitia Merli de m’avoir mis sur la piste de Philippe Descola,

J’ai vu qu’il n’y a pas de Nature,
Que Nature n’existe pas,
Il y a collines, vallées, plaines,
Il y a arbres, fleurs, herbages,
Il y a rivières et pierres,
Mais qu’il n’y a pas un tout dont cela fasse partie,
Qu’un ensemble réel et véritable
Est une maladie de nos idées.

La Nature est parties sans un tout.

extrait Pour prendre soin de nos âmes, de Fernando Pessoa

 

« L’architecture métaphysique de la modernité est fondée sur l’idée de « nature », qui permettrait de définir tout le reste : la société, la culture, l’art, etc. On stipule ainsi que la nature serait une ressource extérieure à exploiter. »

« Les humains ont progressivement rendu la planète inhabitable. L’ensemble des non-humains a été perçu comme ressource à exploiter et l’on a profondément perturbé les écosystèmes. »

« Habiter devrait être pris dans le sens de ce qui nous lie à autrui : pas seulement aux humains, mais aussi aux non-humains. »

« Apprendre à regarder des images, c’est aller contre sa pensée. C’est apprendre à voir que celles qui n’obéissent pas à nos codes et nos mécanismes ont des choses à nous montrer et à nous apprendre. »

« On est toujours trompé par les images. Elles nous font voir des choses que les discours ne montrent pas explicitement. Il faut les prendre avec des pincettes, surtout quand elles veulent systématiquement nous tromper. »

« L’anthropologie de Lévi-Strauss, c’est l’accent porté sur la différence. Elle a montré qu’aucun phénomène ou institution n’a de sens en soi, mais bien en relation et en contraste avec un contrepoint. »

« Le monde est menacé par la diffusion d’images non-classiques de voir le monde et la destruction des écosystèmes. On en est arrivé là par l’envie toujours plus excessive d’exploiter et de consommer de manière immédiate. »

Vi que não há Natureza,
Que Natureza não existe,
Que há montes, vales, planícies,
Que há árvores, flores, ervas,
Que há rios e pedras,
Mas que não há um todo a que isso pertença,
Que um conjunto real e verdadeiro
É uma doença das nossas ideias.

A Natureza é partes sem um todo.

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